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Par Bruyeres33 le 23 Avril 2010 à 22:37
Dimanche 21 mars 2010 : Altitude record
Cette journée est pour moi l'occasion de monter plus haut que je n'ai jamais été auparavant. Le point le plus haut que j'avais atteint il y a plus de 10 ans était le belvédère donnant sur le Mont-Blanc depuis le sommet du téléphérique.
En quittant l'hôtel, nous acquérons un drapeau à prières que nous déploierons lors du passage du col. Nous "agitons" ensuite quelques moulins à prières puis attaquons une montée qui durera toute la matinée.
Tanki Manang, le réservoir d'eau, domine le village que nous venons de quitter. Nous laissons également sur notre gauche, les pâturages, le lac et le glacier, cadres de l'excursion d'hier.
Rudra nous prévient qu'il faut ouvrir l'oeil dès aujourd'hui car nous avons "98% de chances" d'apercevoir des animaux sauvages. C'est vrai que jusqu'à présent la faune s'est faite plutôt discrète en dehors du chacal et du rongeur d'hier. Les prévisions n'ont pas tardé à se vérifier : en contrebas, à distance plus que respectable (d'où la qualité médiocre de la photo), un troupeau de bharals - ou de naours en népalais - broute paisiblement. Il s'agit de chèvres de montagne qui descendent tous les matins s'abreuver à la rivière. Un membre du troupeau joue les vigiles et s'assure de l'absence de danger pendant que les autres se désaltèrent puis les rôles s'inversent.
Le glacier du Gangapurna disparaît peu à peu mais le massif des Annapurnas reste visible dans son intégralité.
Nous longeons les pâturages à yaks. Ces animaux descendent à une telle altitude d'octobre à février avant de remonter le reste de l'année. Les éleveurs leur apportent le sel pour les alimenter. Derrière un éperon rocheux, des mâles finissent par apparaître, beaucoup plus trapus et poilus que les femelles. Ils sont presque à portée de main.
Nous atteignons à midi le dernier village de notre route vers le sommet : au-delà, il n'y a plus que les lodges pour les trekkeurs. Olivier et moi faisons un rapide tour jusqu'à Yak Kharkha (pâturages à yaks) et revenons à temps pour assister à la fin d'une partie de Bagh Chal entre Rudra et Krishna. Ce jeu népalais s'appelle "Tigres et chèvres" en français. Le plateau est carré formé de lignes horizontales, verticales et diagonales qui ne cessent de se couper. Au départ, les tigres sont aux quatre coins du carré. Progressivement, le second joueur positionne 20 chèvres, une par une, dans l'optique de bloquer les tigres. Quant à ces derniers, ils peuvent manger les chèvres s'il y a un alignement tigre/chèvre/case vide (selon le principe des dames).
Comme hier, nous reprenons la route pour une courte durée : nous parvenons à Letdar peu après 14h. Le paysage traversé depuis le déjeuner se fait plus minéral que les jours précédents.
Pour parfaire l'acclimatation, nous poursuivons l'ascension au-dessus du refuge après y avoir déposé nos affaires. Des aigles tournoient dans le ciel, un renard file à toute allure après que nous l'ayons surpris dans sa promenade. Au sommet, le Cholu West se dévoile et de nouveaux yaks apparaissent.
Sur les sommets, le vent emporte les cristaux de neige dans les airs reproduisant les projections d'écume sur la crête des vagues :
Retour au lodge. Avec l'altitude, les douches ont disparu. La température de la journée est encore assez élevée. D'après Rudra, on risque de ne pas trouver de neige au sommet, ce qui serait exceptionnel.
Réunis pour le thé dans la salle de restauration, nous apprenons par la radio la mort d'un haut dignitaire du régime. Nous ne comprenons bien sûr rien mais cela ressemble par le débit et l'intensité des paroles à des commentaires sportifs. Il s'agit en réalité de la retransmission des obsèques. Les deux prochains jours sont jours de deuil national et donc chômés.
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Par Bruyeres33 le 24 Avril 2010 à 21:57
Lundi 22 mars 2010 : Une montée un peu trop rapide pour moi
Le programme du jour est plutôt court mais assez intense. La température a cependant baissé légèrement par rapport aux jours précédents.
Sur notre itinéraire, nous croisons à nouveau des yaks, des bharals et des vautours. Un pont dans un vallon nous permet de changer de versant. Un passage difficile s'annonce : il faut passer sur des éboulis et en même temps surveiller que rien ne dégringole d'en-haut. Nous passons en file indienne en ménageant entre nous une petite distance de sécurité.
Franchi cet obstacle, nous débouchons sur le coup des 10h au Thorung La Base Camp à 4540m d'altitude. L'étendue du camp est modeste et la vue est bouchée par les montagnes de tous les côtés sauf de celui d'où nous venons.
Je tente, poussé par Laëtitia, de "défier" Krishna au jeu des tigres et des chèvres mais l'élève que je suis ne dépassera jamais le maître. Krishna anticipe au moins 3 ou 4 coups sur chacun des miens et me mène comme il le souhaite ...
Nous ingurgitons rapidement une soupe de nouilles à 11h avant de s'élancer une heure plus tard vers le High Camp. La montée dure une heure et est légèrement éprouvante.
En forçant un peu trop sur les derniers mètres, attiré par la vue du refuge, j'attrape mal à la tête pour le restant de l'après-midi. Nous sommes à 4800m et pour parfaire une dernière fois l'acclimatation avant le final de demain, nous grimpons à 4860m. La vue est dégagée à 360° et nous retrouvons au loin le Gangapurna.
Je reste couché l'après-midi, le temps que les médicaments fassent effet. A 16h30, nous prenons le thé et à 18h le repas. Nous vivons donc cette journée en décalé par rapport aux autres jours mais cela est dû au départ matinal de demain.
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Par Bruyeres33 le 25 Avril 2010 à 21:07
Mardi 23 mars 2010 : L'important ce n'est pas le but mais les pas qui permettent de l'atteindre !
Aujourd'hui est un jour très spécial pour moi, encore plus que pour les autres membres du groupe : c'est mon anniversaire ! Et quel plus beau cadeau que de s'offrir une telle étape, le point phare du trek ? Le manque d'expérience à une telle altitude est donc largement compensé par une motivation décuplée et une foi inébranlable dans le fait que seules les barrières que l'on se fixe ne peuvent être franchies.
A l'altitude où nous nous trouvons, la nuit a été difficile pour la plupart sinon tous. Les phases de sommeil alternent avec celles de réveil. Pour certains, le mal de tête se fait sentir en position allongée. Pour moi, il est bel et bien parti. A 4h30, Krishna vient frapper à la porte pour donner le signal du lever. Une demi-heure plus tard, c'est le petit déjeuner et à 5h30, le départ est donné pour 8h de marche à priori dont 3h d'ascension. La bonne acclimatation, notre forme et l'expérience de notre guide vont nous permettre de monter en 2h15.
La première demi-heure s'effectue à la lampe frontale au coeur d'une caravane de lumière constituée de différents groupes de trek partis en même temps que nous du High Camp. Pour autant, nous ne marchons pas les uns sur les autres. Aux alentours de 6h, le jour se lève progressivement sur la chaîne himalayenne. Les montagnes se parent dans un premier temps de teintes rougeâtres avant de retrouver leur pureté originelle. Seul le vent rend l'atmosphère plus fraîche. Mieux vaut porter des gants voire un couvre-chef.
Après avoir traversés tant de villages et de paysages différents au cours des derniers jours, nous touchons enfin au but à 7h45. Au détour d'une ultime courbe, nos efforts sont récompensés : un amas coloré de drapeaux à prières indique le sommet du col.
Nous déployons à notre tour un drapeau afin que le vent porte au loin les prières pour tous ceux qui ne peuvent acheter un tel objet ou qui ne peuvent monter ici. Pas d'acclamation ni de cri de joie car ce serait présomptueux, tant de trekkeurs sont déjà passés par là voire ont été bien plus haut. Puis, nous improvisons une séance photo devant le panneau indiquant "Thorung La 5416m". Quel autre témoignage pourrait immortaliser cet instant ? Comment se rappeler ce passage dans quelques années sans regarder dans un album photo le panneau symbolique qui le matérialise ? L'objectif du trek, le but de mon voyage, était en fin de compte d'atteindre cette altitude et de découvrir la vie des locaux. Pour marquer le premier des deux, le cliché est finalement le bon moyen à défaut de savoir dessiner. Je propose à mon tour de prendre Rudra et Krishna qui acceptent volontiers.
Au sommet, nous sommes en prise directe avec le vent, très violent. Nous pénétrons donc dans le refuge pour nous abriter et prendre un café ou un thé.
Après 10 à 15 minutes au sommet, on entame la descente car le mal de tête guette si l'on s'attarde trop. La partie la plus raide va durer 2h45 pour nous qui marchons avec retenue. Quant aux porteurs, avec 25kg sur le dos, ils descendent en courant !
Je trouve la descente difficile. La raison ? J'avais placé la moitié de mes attentes dans l'atteinte du sommet comme je viens de le préciser. Maintenant que celui-ci est franchi, je marche sans but ce qui impacte directement ma motivation.
Le Dhaulagiri se dévoile puis l'entrée du Mustang. Le paysage est extrêmement sec et minéral mais la palette de couleurs dans notre champ de vision est large. Entrapercevoir une région si mythique me remotive même si j'ai déjà vu dans mes voyages précédents des environnements plus époustouflants que celui-ci. Cette région a longtemps été fermée aux occidentaux. Aujourd'hui encore l'accès y est très réglementé (permis à 700$ pour 10 jours puis 70$ par jour supplémentaire). Comme nous ne sommes qu'à la porte de cette zone, nous n'avons pas besoin de nous acquitter de cette taxe.
Depuis trois jours un porteur nous accompagnait et portait le caisson hyperbare au cas où. Au bas de la descente, nos routes se séparent et il repart en sens inverse.
Un peu plus loin à 4200m, nous marquons une pause ravitaillement à la première "auberge" croisée. Le Nilgiri et le Dhaulagiri barrent une partie de l'horizon. Le premier sera même un nouveau fil rouge que nous apercevrons régulièrement jusqu'à Jomson.
Plus bas, autour de 3800m, nous surplombons Muktinath, sanctuaire religieux hindouiste et bouddhiste de premier plan. Avant 2006, le roi y accomplissait chaque année un pèlerinage. Avant de pénétrer dans l'enceinte sacrée, nous passons au pied d'une montagne recouverte de drapeaux à prières. Impressionnant !
Nous commençons la visite par le temple bouddhiste, le Shinghe La Khang ou Maison du Dieu Lion. Il est dédié à Guru Rimpoche, l'initiateur de ce courant de pensée au Tibet. Sur les murs de la pièce principale, huit représentations différentes de sa personne sont proposées dont une sous forme de lion. Son iconographie le présente le plus souvent avec une moustache et un trident à 3 têtes pour les Bouddhas du passé, du présent et de l'avenir. Ce monastère abrite également 16 kangyurs, livres présentant fidèlement l'enseignement du Bouddha.
Une volée de marches plus bas, nous faisons face à un temple hindouiste à 3 étages. De nombreux pèlerins se dévêtent partiellement pour accomplir un rituel : pour se faire pardonner de leurs "péchés", ils doivent passer sous 108 robinets en forme de têtes de vache déversant l'eau froide venue des montagnes. Certains passent en courant, d'autres expient leurs fautes bien plus longuement. Un autre moyen permet d'obtenir la rédemption : autour du temple se consument d'innombrables bougies à huile. Le pèlerin qui en allume 100 000 (il n'y a pas d'erreur) obtient également la grâce.
La foule sur le site est très dense. Rudra nous explique que nous sommes le huitième jour après la pleine lune de mars qui est un jour spécial du calendrier religieux d'où l'ampleur du pèlerinage. Sur ce site, nous croisons également nos premiers sadhus, hommes à barbe drapés d'un linge souvent orangé et dédiant leur vie à la méditation en théorie. En pratique, de nombreux individus se prétendant sadhus surveillent assidûment les touristes pour tenter de décrocher quelques pièces. Le "job" doit même être rentable car certains viennent d'Inde pour pratiquer ce nouveau genre de méditation. Messieurs, les 108 têtes de vaches vous attendent pour revenir dans le droit chemin sur lequel vous êtes censés être engagés.
Sur la piste menant au centre-ville, nous croisons de nombreuses moto-taxis et des véhicules tout-terrain montant les fidèles. Nous passons également devant l'ultime checkpoint de l'ACAP.
Après déjeuner, nous descendons 30 minutes par une piste poussiéreuse vers Jarkhot (3600m). Ce village typique est situé sur un éperon rocheux et domine la vallée en contrebas. Sur notre droite, nous surplombons la vallée en question. Elle est cultivée et abrite 7 villages disséminés sur les collines alentours.
Après avoir investis l'hôtel, nous faisons à 5 un tour du hameau et nous rendons au monastère à la pointe de l'éperon rocheux. Nous sommes prêts à le visiter mais, aussi improbable que cela puisse paraître, il n'y a personne auprès de qui acquitter les droits d'entrée. Sur le perron, plusieurs fresques dont la Roue de la Vie que j'expliquerai dans le prochain article.
Nous poussons la lourde porte mais toujours personne. Peut-être une musique indiquant une cérémonie ? Au sol, une poutre posée en travers du passage nous indique qu'il faut rester là. Nous ne verrons pas l'intérieur.
Nous regagnons l'hôtel par de petites ruelles étroites serpentant entre les maisons traditionnelles.
Nous retrouvons alors un luxe introuvable ces derniers temps : une douche !
Je repars ensuite sur Muktinath, 45 minutes en amont, car je dois également fêter l'anniversaire de mon frère et donc trouver un coin Internet. Il me faudra quatre tentatives infructueuses avant de renoncer : au restaurant du midi faute de courant, deux boutiques sans personne pour me renseigner et une dernière où je trouve une petite mamie en pleine prière. Le barrage de la langue est malheureusement fatal. Ce faisant, étant seul, les contacts avec les locaux ont été plus aisés.
En arrivant à Muktinath, un homme d'une trentaine d'années m'explique qu'il effectue le pèlerinage à pied depuis Jomson. Il est entouré de toute sa famille.
En haut du village, je retrouve un trekkeur anglais que nous avons aperçu auparavant sur notre chemin. Il voyage avec une amie canadienne et accomplit le grand tour des Annapurnas. Leur étape du jour a en revanche été bien plus longue que la nôtre car ils viennent tout juste d'arriver.
En retournant à Jarkhot, j'accomplis un bout de chemin avec un bouddhiste revenant du monastère et allant chercher un véhicule pour rentrer chez lui à Pokhara.
Enfin, un ultime groupe de pèlerins en train de monter au temple s'étonne de mon allure rapide mais comme je descends ...
De retour à l'hôtel, je souhaite payer ma tournée pour marquer mon anniversaire. Pour la première fois, les porteurs sont à notre table. Le repas du soir est marqué par une véritable surprise : un gâteau d'anniversaire alors que jusqu'à présent les desserts se faisaient plutôt rares. Je reçois également un petit moulin à prières reconstitué dans les moindres détails puisqu'il contient les rouleaux de papier avec l'inscription Om Mani Padme Hum. Il trône désormais sur ma bibliothèque. Avec une telle journée, je ne suis pas prêt d'oublier cet anniversaire !
Quelques précisions supplémentaires sur les fêtes religieuses népalaises comme le pèlerinage d'aujourd'hui à Mukhtinath:
Les fêtes hindoues ont davantage lieu au sein du foyer domestique alors que les bouddhistes les font davantage en collectivité comme dans les monastères.
Lors de la principale fête hindoue (Dashain en octobre) qui se tient entre la nouvelle lune et la pleine lune, il y a trois à cinq jours importants durant lesquels les familles se réunissent et exécutent un animal : le sang est versé pour le dieu, le reste est consommé par la famille. Cette cérémonie commémore la victoire des dieux sur les démons.
La fête de Tihar Dewali se célèbre entre frères et soeurs. Elle implique également des animaux. Elle s'étale sur 5 jours chacun dédié à un animal différent :
- le premier jour célèbre le corbeau, symbole de la mort. La soeur répand de l'huile autour de ses frères pour les protéger de la mort tant que l'huile ne sèche pas. Elle casse également des noix pour signifier que si quelqu'un attaque un de ses frères, il se brisera comme le fruit sec.
- le second jour consacre les chiens, protecteurs de la maison.
- le troisième jour concerne les vaches qui symbolisent la richesse. C'est le jour le plus important.
- le quatrième jour met en avant le taureau pour sa force.
- enfin le dernier jour est dédié aux frères et soeurs. Les premiers offrent un collier de fleurs et un bon repas aux secondes qui reçoivent également de l'argent.
La fête des Lumières est l'occasion de déposer une lampe à huile sur le seuil de sa porte.
Enfin, en février, la fête de Holi ou fête des couleurs est l'occasion de se jeter à la figure des poudres de toutes les couleurs pour célébrer le printemps.
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Par Bruyeres33 le 26 Avril 2010 à 22:22
Mercredi 24 mars 2010 : Dans la poussière
Ce matin, nous bénéficions d'une heure en plus pour nous reposer avant le départ. A posteriori, cette journée a été à mes yeux la plus éprouvante du voyage (enfin juste l'après-midi).
Le paysage est d'abord celui de cultures irriguées. Quelques femmes oeuvrent à des plantations dans les champs. Brusquement, nous retrouvons l'univers minéral que nous avons côtoyé hier.
Dans certaines parois, des cavités sont creusées. Il s'agit d'habitats troglodytes remontant aux 14° et 15° siècles. Des recherches germano-népalaises ont permis de mettre à jour des ustensiles de cuisine.
Une fracture dans la roche donne sur une sorte d'oasis maraîchère en contrebas où poussent notamment des pommiers. Le village de Kagbeni s'y blottit et marque la "frontière" entre le bas Mustang sur notre gauche et le haut Mustang vers la droite. Il est en outre adossé à une montagne qui le sépare du Dolpo, la région de transit commercial avec le Tibet où a été tourné Himalaya, l'enfance d'un chef. Une rivière, la Kali Gandaki, scinde la cité en deux.
Nous déposons nos sacs à l'auberge où nous nous ravitaillerons à midi puis accomplissons un tour de ville. Nous passons d'abord sous le chorten le plus bas que nous ayons croisé : je dois me plier en deux pour y entrer. Une profusion de personnages ornent ses murs dont Manjusri, le symbole de la Sagesse, la Tara Verte et l'incontournable Guru Rimpoche muni de son trident à trois têtes. Quant au plafond, il est comme toujours orné de mandalas.
Une des premières ruelles que nous traversons ensuite capte notre attention : une enseigne comporte le fameux "M" de Mc Donald's ! Fausse alerte heureusement !
Nous nous rendons alors au monastère richement doté : 16 kangyurs (enseignement de Bouddha sans interprétation) et 108 tangyurs (avec interprétation), un énorme manuscrit d'environ 500 feuillets écrit en lettres d'or ... Nous retrouvons également les autres éléments des monastères précédents : statues, masques, tambours venant du chamanisme, conques, tankas, bannières de victoire, bancs et sièges ...
En sortant de la salle principale, une autre plus petite comporte de nombreuses fresques au premier rang desquelles la Roue de la Vie que je vais enfin expliquer. Voici celle de la veille à Jarkhot, la plus appropriée pour illustrer mes propos :
Le cercle principal est subdivisé en six portions. En haut se trouvent les dieux. A leur gauche, les demi-dieux avec qui ils sont en conflit. Celui-ci est représenté par des personnages tirant sur des cordes reliant les deux mondes. Cette rivalité résulte d'un arbre fruitier dont les racines poussent chez les demi-dieux mais qui donne ses fruits chez les dieux qui s'en délectent. Dans certaines figurations de cette Roue, la distinction entre ces deux portions n'est pas nette mais on retrouve l'idée d'opposition et de conflit. A la droite des dieux, les hommes appartiennent au dernier univers de la partie supérieure de la Roue.
Tout en bas, l'enfer est en opposition au paradis. A sa droite, les fantômes de la faim qui ont un gros ventre mais un petit cou. Ils essayent de manger mais ne peuvent de fait rien avaler. Ils sont donc perpétuellement affamés. Enfin, à gauche de l'enfer, le monde des animaux. Selon ses actions antérieures, l'animal peut être noble (comme une biche) ou pas.
Chacun de ces univers a un temps qui lui est propre. Ainsi, un jour chez les hommes a une durée différente d'une journée chez les dieux.
Cette Roue symbolise le samsâra ou cycle des réincarnations, principe fondamental dans le bouddhisme. En fonction de la somme de ses bonnes ou de ses mauvaises actions, la renaissance suivante s'effectue dans tel ou tel monde. En diminuant ou en supprimant toutes les mauvaises intentions et actes négatifs, il est plus probable de revenir dans la partie haute. Lorsque cessent l'ignorance et la souffrance (auxquelles tout être vivant est soumis), l'individu peut même espérer quitter la Roue et atteindre le nirvana. Ce dernier est représenté dans le coin supérieur droit de la fresque par un bouddha pointant du doigt la lune.
Au contraire, les mauvaises actions comme tuer un être vivant sans raison valable exposent à l'enfer. Les bouchers sont concernés car ils tuent sans motif valable des animaux innocents qui sont des réincarnations d'humains. Par contre, tuer un moustique pourra être pardonné car il s'agit d'un vecteur de maladie.
Le Bouddha est présent dans chacun des six mondes (il porte une sorte de toge jaune-or), mais son existence n'est pas toujours perçue.
Au centre de la Roue se trouve un autre cercle plus petit entouré d'un anneau. La partie gauche de ce dernier présente les actions qui permettent d'atteindre un univers supérieur. Quant à la partie droite, elle recense les actions conduisant dans la partie inférieure. Le cercle au milieu de cet anneau met en scène une ronde de trois animaux symbolisant 3 poisons de la vie à l'origine de la souffrance : le canard ou le coq pour le désir, le cochon pour l'ignorance et le serpent pour la colère. Deux autres poisons ne sont pas représentés : la jalousie et la fierté.
L'extérieur de la Roue de la Vie est également constitué d'une bordure figurant les 12 étages de la loi de la dépendance ou plus simplement 12 étapes de la vie (naissance, croissance, mariage, vieillissement, mort ...).
Pour finir, la Roue est intégralement contenue dans la bouche du dieu de la Mort pour signifier que l'on va tous finir par mourir car tout est impermanent. Ce dieu est assis sur une peau de tigre.
D'autres fresques présentent les gardiens des 4 points cardinaux qui étaient des rois à l'époque du Bouddha ou montrent un vieil homme à la barbe blanche, symbole de longue vie.
Enfin, une ultime représentation montre des oiseaux à deux becs.
Ce sont des traducteurs de deux langues : le tibétain et l'indien. Le livre et la flamme qui les surmontent évoquent la sagesse. En bas, quatre animaux empilés contre un arbre illustrent une fable. Le plus bas est l'éléphant, le plus grand de tous en taille mais pas forcément le plus respecté. Il se souvient juste avoir toujours vu l'arbre. Sur son dos, le singe se rappelle avoir connu l'arbre lorsqu'il était tout petit et encore fragile. Le singe supporte un lapin. Cet animal est celui qui a contribué à faire sortir l'arbre de terre en fournissant à la graine les engrais nécessaires. Enfin, la pyramide se termine par un oiseau, celui qui a transporté et semé la graine. Cette fable exprime le fait que même les plus petits peuvent avoir une importance considérable et que le respect de tous est fondamental.
Le monastère de Kagbeni abrite pour le moment 13 enfants moines. Lorsque l'école attenante sera achevée, 10 autres "moinillons" du Dolpo viendront les rejoindre. Le gardien du monastère termine la visite en nous offrant du thé dans une salle de prières ou d'enseignement.
Après la pause déjeuner commence la galère : il faut traverser la vallée très venteuse de la Kali Gandaki à pied jusqu'à Jomson. Le vent charrie de grandes quantités de poussière et comme j'y suis allergique à forte dose, je serai malade le reste du séjour et même après. Il souffle toute l'année à partir de 10h ou 12h empêchant tout trafic aérien après le début de la matinée.
La sortie du village est tout en contraste entre le vert saisissant des dernières cultures et le gris minéral de la vallée.
En passant au-dessus d'une cascade, certains d'entre nous sont copieusement arrosés, l'eau de la chute étant projetée en hauteur. Pour la première fois, notre groupe éclate vraiment, chacun va à son rythme et nous nous retrouvons au but.
Jomson est un bourg très étalé, partagé en plusieurs quartiers distincts par le cours de la rivière. C'est également le point de départ ou le terminus des bus pour Pokhara et une large partie de la ville est occupée par un camp militaire grillagé. Notre hôtel se trouve à deux pas de l'aéroport. C'est l'occasion de prendre la douche la plus utile et la plus bénéfique du trek tant nous sommes couverts de poussière. Tant pis pour l'eau froide !
Le soir, nous commençons par définir avec Rudra le programme des prochains jours dans la vallée de Kathmandu. L'équipe de porteurs et Krishna nous rejoignent ensuite à table pour la dernière soirée ensemble. Les premiers repartent le lendemain pour Pokhara où ils effectueront un nouveau trek. Krishna va prendre le même bus pour Pokhara puis un second de nuit pour Kathmandu. En attendant d'accompagner un nouveau guide, il reprend les études dans deux domaines principaux : la trigonométrie et l'histoire. Il pratique en outre le népalais et l'anglais. Dans la cadre de sa formation de guide, il apprend depuis six mois le français. Il accompagne à l'heure actuelle 4 ou 5 treks par an et compte déjà à son actif autant de sommets que nous 5 réunis ... mais lui n'a que 22 ans !
Pour marquer cette dernière soirée, certains goûtent l'alcool local paraît-il plutôt fort : le brandy à la pomme qui existe aussi à l'abricot à certaines saisons. Suit un repas traditionnel avec l'incontournable dal bhat un peu relevé et un second gâteau en deux jours. Les népalais entonnent également une chanson d'amour traditionnelle que j'ai enregistrée (cliquer pour écouter) :
La soirée se termine par un match Suisse-Népal assez relevé.
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Par Bruyeres33 le 29 Avril 2010 à 21:44
Jeudi 25 mars 2010 : Retour à Kathmandu et survol des Annapurnas
Nouveau lever matinal à 4h30. Nous devons en effet prendre deux avions ce matin. L'enregistrement et les formalités administratives sont très lourds : fouille minutieuse des sacs, de tous les sacs. Mon sac à dos de 80 litres comptant vraiment trop de poches, l'officier crie grâce bien avant la fin réglementaire de la fouille.
Un petit avion de la Yeti Airlines ne tarde pas à se poser sur le tarmac. En moins de deux, les passagers et les bagages sont débarqués et nous les remplaçons à bord. Sur les conseils de Rudra, je me positionne sur le côté gauche sur un siège rabattable. Une hôtesse distribue un bonbon à chacun puis nous partons pour 18 minutes de vol entre Annapurna (à gauche) et Dhaulagiri (à droite). Ceux-ci dépassent néanmoins à peine du voile nuageux. A l'arrivée, nous survolons des montagnes toutes roses, couvertes de rhododendrons en fleur. Magnifique ! Puis nous surplombons le lac de Pokhara.
L'escale à Pokhara dure deux heures puis, après de nouvelles fouilles, nous embarquons dans un avion un peu plus gros de la Yeti Airlines à destination de Kathmandu, la capitale du pays. Le vol dure cette fois-ci 25 minutes. L'hôtesse nous gâte : bonbon puis cacahuètes et enfin boisson. Au-dessus du plafond nuageux, les passagers assis sur la gauche peuvent distinguer les Annapurnas, le Manaslu et le Lamtang.
A 11h, nous atterrissons et regagnons l'hôtel Norbu Linka une heure plus tard car la circulation est dense. Rudra nous y laisse et viendra nous chercher à 14h30. Les repas étant libres, nous allons dans un restaurant nippo-népalais dans la rue principale.
Cette après-midi, notre programme concerne Durban Square, la place principale du quartier historique. Sur la route, nous passons devant de nombreux sanctuaires hindous où chaque statue est partiellement couverte de poudres rituelles.
La circulation des voitures, motos, cyclo-pousses est chaotique mais chacun évite tous les obstacles. Pour circuler à pied, mieux vaut avancer sans se préoccuper du trafic.
Au début d'une nouvelle rue, nous tombons sur le Bangemkura : pour soigner une douleur dentaire, le "malade" passe une pièce sur sa joue du côté douloureux. Puis, il la cloue sur la structure en face de lui pour qu'elle emporte sa douleur.
Durban Square finit par apparaître devant nous. Jusqu'au 18ème siècle, Kathmandu, Bhaktapur et Patan formaient trois royaumes de la vallée qui rivalisaient en matière d'architecture notamment. Durban Square est le lieu d'expression de cette lutte à Kathmandu. En arrivant du Thamel (quartier touristique où se trouve notre hôtel), le voyageur se retrouve d'abord en face du Temple de Taleju ou temple du sacrifice. 108 sacrifices de boeufs y étaient réalisés une fois l'an d'où le nom de l'édifice. Celui-ci est entouré de la muraille blanche du palais ainsi que de temples hindous. Le roi, pour des raisons de sécurité, ne devait pas sortir de son royaume. C'est pourquoi les temples furent construits à proximité.
Un peu plus loin, un mur dont certaines briques sont colorées et figurent une divinité. Il s'agit de Kala Bhairava, la représentation de Shiva en colère datant du 15ème siècle. Shiva est une des trois principales divinités de l'hindouisme avec Brama, le créateur de la Terre, et Vishnou, le protecteur. Pour les hindous, le Bouddha n'est qu'une réincarnation de ce dernier dieu. A côté de ce mur coloré, un immense char est prêt à s'ébrouer dans le cadre d'une importante procession.
Nous prenons sur notre gauche et rejoignons le palais royal identifiable à son enceinte blanche. Sur un de ses murs, une inscription en quinze langues différentes témoigne de la faculté d'un des rois à maitriser un tel nombre d'idiomes.
Un peu plus loin se dresse Hanuman Dhoka ou Porte d'Hanuman. Le dieu singe y est symbolisé par une statue recouverte d'un tissu rouge. Au 7ème siècle avant le bouddhisme, c'est un grand guerrier ami de Rama. Ce dernier a vu sa femme être enlevée par les démons. Hanuman l'a aidé à la récupérer d'où son nom de Dieu de l'énergie. Une autre fois, Hanuman est parti dans l'Himalaya pour trouver une plante susceptible de sauver son frère. Mais arrivé sur place, il ne s'est plus souvenu du nom de la plante médicinale et a donc rapporté la montagne entière. Ces deux divinités apparaissent souvent dans les temples dédiés à Vishnu en tant qu'avatars.
A côté de la statue, une entrée du palais malheureusement interdite aux touristes.
Rudra souligne à ce moment une caractéristique importante du temple hindou : devant chacun d'eux, une statue représente le "véhicule" associé à la divinité célébrée : l'oiseau Garuda pour Vishnu, le taureau pour Shiva, le rat pour Ganesh ...
Nous terminons par le Palais de la Kumari, construit au temps de la dernière dynastie Malla. Le bâtiment est réputé pour ses boiseries : les fenêtres remontent par exemple au Moyen-Age. La Kumari est non moins célèbre et vénérée. Et pour cause : c'est une déesse vivante. Elle est choisie entre 5 et 7 ans dans la famille Shakya de confession bouddhiste. Elle est considérée comme la réincarnation d'une déesse familiale des Malla (ancienne famille régnante) : Taleju. 32 signes distinctifs permettent de la reconnaître et elle doit faire preuve de bravoure et de courage. Kumari signifie "vierge", elle occupe donc sa place spéciale jusqu'à 12 ans maximum avant d'être libérée de ses obligations. Durant sa fonction, elle ne peut sortir qu'une fois par an de son palais mais ne doit pas fouler le sol de ses pieds. Elle est donc portée pour accomplir le tour de la vallée. Une fois relevée de ses fonctions, elle peut désormais se marier librement alors qu'auparavant, tout mari potentiel craignait pour sa vie. La Kumari actuelle est âgée de 6 ans. Il est possible de la voir mais pas de la photographier.
En ressortant, nous nous apercevons que le char évoqué précédemment est en mouvement tiré par une foule sous l'injonction d'une poignée de religieux vêtus en blanc. Ce serait la fête de la Kumari ?
Le retour à l'hôtel par le même chemin est assez précoce (16h30). Je ressors donc me promener sans carte jusqu'au lac de la Reine construit par un souverain pour soulager sa femme qui a perdu un de ses fils. Au milieu d'une étendue lacustre s'élève un pavillon blanc.
Au sud de celui-ci, un parc où se masse la population malgré la rareté de l'herbe. Et encore plus loin, une succession de terrains de sport.
Je regagne le centre-ville en passant devant un immense chorten. Sur ses quatre faces, les yeux du Bouddha surveillent les passants pour signifier que le Bouddha voit tout.
Je pénètre ensuite dans un dédale de ruelles étroites et très sombres, bordées de commerces. A son débouché, je rentre dans un temple hindou probablement de premier ordre tant il est décoré : le Jana Bahal.
Je regagne l'hôtel en passant sous une forêt de fils électriques où un funambule est à l'ouvrage. Comment fait-il pour s'y retrouver ?
La balade se termine sur une place où quelques commerçants vendent une poignée de fruits et légumes.
Nous prenons notre dîner toujours dans la même rue mais dans un restaurant tibétain pour changer. Une marche "digestive" clôt notre soirée en groupe. Je passe le reste de mon temps avec Arjun, autour d'une tasse de thé, à échanger sur la vie quotidienne au Népal et à prendre quelques derniers cours de népalais.
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