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High Camp (4800m) > Jarkhot (3600m)
Mardi 23 mars 2010 : L'important ce n'est pas le but mais les pas qui permettent de l'atteindre !
Aujourd'hui est un jour très spécial pour moi, encore plus que pour les autres membres du groupe : c'est mon anniversaire ! Et quel plus beau cadeau que de s'offrir une telle étape, le point phare du trek ? Le manque d'expérience à une telle altitude est donc largement compensé par une motivation décuplée et une foi inébranlable dans le fait que seules les barrières que l'on se fixe ne peuvent être franchies.
A l'altitude où nous nous trouvons, la nuit a été difficile pour la plupart sinon tous. Les phases de sommeil alternent avec celles de réveil. Pour certains, le mal de tête se fait sentir en position allongée. Pour moi, il est bel et bien parti. A 4h30, Krishna vient frapper à la porte pour donner le signal du lever. Une demi-heure plus tard, c'est le petit déjeuner et à 5h30, le départ est donné pour 8h de marche à priori dont 3h d'ascension. La bonne acclimatation, notre forme et l'expérience de notre guide vont nous permettre de monter en 2h15.
La première demi-heure s'effectue à la lampe frontale au coeur d'une caravane de lumière constituée de différents groupes de trek partis en même temps que nous du High Camp. Pour autant, nous ne marchons pas les uns sur les autres. Aux alentours de 6h, le jour se lève progressivement sur la chaîne himalayenne. Les montagnes se parent dans un premier temps de teintes rougeâtres avant de retrouver leur pureté originelle. Seul le vent rend l'atmosphère plus fraîche. Mieux vaut porter des gants voire un couvre-chef.
Après avoir traversés tant de villages et de paysages différents au cours des derniers jours, nous touchons enfin au but à 7h45. Au détour d'une ultime courbe, nos efforts sont récompensés : un amas coloré de drapeaux à prières indique le sommet du col.
Nous déployons à notre tour un drapeau afin que le vent porte au loin les prières pour tous ceux qui ne peuvent acheter un tel objet ou qui ne peuvent monter ici. Pas d'acclamation ni de cri de joie car ce serait présomptueux, tant de trekkeurs sont déjà passés par là voire ont été bien plus haut. Puis, nous improvisons une séance photo devant le panneau indiquant "Thorung La 5416m". Quel autre témoignage pourrait immortaliser cet instant ? Comment se rappeler ce passage dans quelques années sans regarder dans un album photo le panneau symbolique qui le matérialise ? L'objectif du trek, le but de mon voyage, était en fin de compte d'atteindre cette altitude et de découvrir la vie des locaux. Pour marquer le premier des deux, le cliché est finalement le bon moyen à défaut de savoir dessiner. Je propose à mon tour de prendre Rudra et Krishna qui acceptent volontiers.
Au sommet, nous sommes en prise directe avec le vent, très violent. Nous pénétrons donc dans le refuge pour nous abriter et prendre un café ou un thé.
Après 10 à 15 minutes au sommet, on entame la descente car le mal de tête guette si l'on s'attarde trop. La partie la plus raide va durer 2h45 pour nous qui marchons avec retenue. Quant aux porteurs, avec 25kg sur le dos, ils descendent en courant !
Je trouve la descente difficile. La raison ? J'avais placé la moitié de mes attentes dans l'atteinte du sommet comme je viens de le préciser. Maintenant que celui-ci est franchi, je marche sans but ce qui impacte directement ma motivation.
Le Dhaulagiri se dévoile puis l'entrée du Mustang. Le paysage est extrêmement sec et minéral mais la palette de couleurs dans notre champ de vision est large. Entrapercevoir une région si mythique me remotive même si j'ai déjà vu dans mes voyages précédents des environnements plus époustouflants que celui-ci. Cette région a longtemps été fermée aux occidentaux. Aujourd'hui encore l'accès y est très réglementé (permis à 700$ pour 10 jours puis 70$ par jour supplémentaire). Comme nous ne sommes qu'à la porte de cette zone, nous n'avons pas besoin de nous acquitter de cette taxe.
Depuis trois jours un porteur nous accompagnait et portait le caisson hyperbare au cas où. Au bas de la descente, nos routes se séparent et il repart en sens inverse.
Un peu plus loin à 4200m, nous marquons une pause ravitaillement à la première "auberge" croisée. Le Nilgiri et le Dhaulagiri barrent une partie de l'horizon. Le premier sera même un nouveau fil rouge que nous apercevrons régulièrement jusqu'à Jomson.
Plus bas, autour de 3800m, nous surplombons Muktinath, sanctuaire religieux hindouiste et bouddhiste de premier plan. Avant 2006, le roi y accomplissait chaque année un pèlerinage. Avant de pénétrer dans l'enceinte sacrée, nous passons au pied d'une montagne recouverte de drapeaux à prières. Impressionnant !
Nous commençons la visite par le temple bouddhiste, le Shinghe La Khang ou Maison du Dieu Lion. Il est dédié à Guru Rimpoche, l'initiateur de ce courant de pensée au Tibet. Sur les murs de la pièce principale, huit représentations différentes de sa personne sont proposées dont une sous forme de lion. Son iconographie le présente le plus souvent avec une moustache et un trident à 3 têtes pour les Bouddhas du passé, du présent et de l'avenir. Ce monastère abrite également 16 kangyurs, livres présentant fidèlement l'enseignement du Bouddha.
Une volée de marches plus bas, nous faisons face à un temple hindouiste à 3 étages. De nombreux pèlerins se dévêtent partiellement pour accomplir un rituel : pour se faire pardonner de leurs "péchés", ils doivent passer sous 108 robinets en forme de têtes de vache déversant l'eau froide venue des montagnes. Certains passent en courant, d'autres expient leurs fautes bien plus longuement. Un autre moyen permet d'obtenir la rédemption : autour du temple se consument d'innombrables bougies à huile. Le pèlerin qui en allume 100 000 (il n'y a pas d'erreur) obtient également la grâce.
La foule sur le site est très dense. Rudra nous explique que nous sommes le huitième jour après la pleine lune de mars qui est un jour spécial du calendrier religieux d'où l'ampleur du pèlerinage. Sur ce site, nous croisons également nos premiers sadhus, hommes à barbe drapés d'un linge souvent orangé et dédiant leur vie à la méditation en théorie. En pratique, de nombreux individus se prétendant sadhus surveillent assidûment les touristes pour tenter de décrocher quelques pièces. Le "job" doit même être rentable car certains viennent d'Inde pour pratiquer ce nouveau genre de méditation. Messieurs, les 108 têtes de vaches vous attendent pour revenir dans le droit chemin sur lequel vous êtes censés être engagés.
Sur la piste menant au centre-ville, nous croisons de nombreuses moto-taxis et des véhicules tout-terrain montant les fidèles. Nous passons également devant l'ultime checkpoint de l'ACAP.
Après déjeuner, nous descendons 30 minutes par une piste poussiéreuse vers Jarkhot (3600m). Ce village typique est situé sur un éperon rocheux et domine la vallée en contrebas. Sur notre droite, nous surplombons la vallée en question. Elle est cultivée et abrite 7 villages disséminés sur les collines alentours.
Après avoir investis l'hôtel, nous faisons à 5 un tour du hameau et nous rendons au monastère à la pointe de l'éperon rocheux. Nous sommes prêts à le visiter mais, aussi improbable que cela puisse paraître, il n'y a personne auprès de qui acquitter les droits d'entrée. Sur le perron, plusieurs fresques dont la Roue de la Vie que j'expliquerai dans le prochain article.
Nous poussons la lourde porte mais toujours personne. Peut-être une musique indiquant une cérémonie ? Au sol, une poutre posée en travers du passage nous indique qu'il faut rester là. Nous ne verrons pas l'intérieur.
Nous regagnons l'hôtel par de petites ruelles étroites serpentant entre les maisons traditionnelles.
Nous retrouvons alors un luxe introuvable ces derniers temps : une douche !
Je repars ensuite sur Muktinath, 45 minutes en amont, car je dois également fêter l'anniversaire de mon frère et donc trouver un coin Internet. Il me faudra quatre tentatives infructueuses avant de renoncer : au restaurant du midi faute de courant, deux boutiques sans personne pour me renseigner et une dernière où je trouve une petite mamie en pleine prière. Le barrage de la langue est malheureusement fatal. Ce faisant, étant seul, les contacts avec les locaux ont été plus aisés.
En arrivant à Muktinath, un homme d'une trentaine d'années m'explique qu'il effectue le pèlerinage à pied depuis Jomson. Il est entouré de toute sa famille.
En haut du village, je retrouve un trekkeur anglais que nous avons aperçu auparavant sur notre chemin. Il voyage avec une amie canadienne et accomplit le grand tour des Annapurnas. Leur étape du jour a en revanche été bien plus longue que la nôtre car ils viennent tout juste d'arriver.
En retournant à Jarkhot, j'accomplis un bout de chemin avec un bouddhiste revenant du monastère et allant chercher un véhicule pour rentrer chez lui à Pokhara.
Enfin, un ultime groupe de pèlerins en train de monter au temple s'étonne de mon allure rapide mais comme je descends ...
De retour à l'hôtel, je souhaite payer ma tournée pour marquer mon anniversaire. Pour la première fois, les porteurs sont à notre table. Le repas du soir est marqué par une véritable surprise : un gâteau d'anniversaire alors que jusqu'à présent les desserts se faisaient plutôt rares. Je reçois également un petit moulin à prières reconstitué dans les moindres détails puisqu'il contient les rouleaux de papier avec l'inscription Om Mani Padme Hum. Il trône désormais sur ma bibliothèque. Avec une telle journée, je ne suis pas prêt d'oublier cet anniversaire !
Quelques précisions supplémentaires sur les fêtes religieuses népalaises comme le pèlerinage d'aujourd'hui à Mukhtinath:
Les fêtes hindoues ont davantage lieu au sein du foyer domestique alors que les bouddhistes les font davantage en collectivité comme dans les monastères.
Lors de la principale fête hindoue (Dashain en octobre) qui se tient entre la nouvelle lune et la pleine lune, il y a trois à cinq jours importants durant lesquels les familles se réunissent et exécutent un animal : le sang est versé pour le dieu, le reste est consommé par la famille. Cette cérémonie commémore la victoire des dieux sur les démons.
La fête de Tihar Dewali se célèbre entre frères et soeurs. Elle implique également des animaux. Elle s'étale sur 5 jours chacun dédié à un animal différent :
- le premier jour célèbre le corbeau, symbole de la mort. La soeur répand de l'huile autour de ses frères pour les protéger de la mort tant que l'huile ne sèche pas. Elle casse également des noix pour signifier que si quelqu'un attaque un de ses frères, il se brisera comme le fruit sec.
- le second jour consacre les chiens, protecteurs de la maison.
- le troisième jour concerne les vaches qui symbolisent la richesse. C'est le jour le plus important.
- le quatrième jour met en avant le taureau pour sa force.
- enfin le dernier jour est dédié aux frères et soeurs. Les premiers offrent un collier de fleurs et un bon repas aux secondes qui reçoivent également de l'argent.
La fête des Lumières est l'occasion de déposer une lampe à huile sur le seuil de sa porte.
Enfin, en février, la fête de Holi ou fête des couleurs est l'occasion de se jeter à la figure des poudres de toutes les couleurs pour célébrer le printemps.
Tags : high camp, thorung la, muktinath, jarkhot, mustang
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